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« Mais le plus étrange avec les drippings de Zack, c’est que, en dépit de la violence des détails, des éclaboussures, des mélanges pâteux, l’ensemble dégage une impression de calme. » Ces quelques mots de John Updike, dans son livre Tu chercheras mon visage, pourraient être ainsi une juste description des oeuvres de Markéta Šenkyříková-Lacroix ou bien alors son exact contraire. Les dessins de l’artiste, aux tons pâles et d’une grande clarté, provoquent chez le spectateur ce que Walter Benjamin appelait  un « léger frisson »1. Au premier abord, le voilà devant une scène bucolique ou une nature morte, sereines comme un moment figé dans le temps. Les nuances diaphanes de Sans Titre (Matin), les couleurs pastels de Sans Titre (Cytise) envahissent la totalité du papier grand format et renvoient à des souvenirs emprunts de quiétude et d’harmonie. Une mémoire lointaine cependant car le dessin semble disparaître peu à peu. Il est altéré et évanescent, comme une vieille photographie dont l’image s’efface progressivement avec les années.
Une vibration néanmoins capte le regard et offre un rythme quelque peu contradictoire avec la scène représentée. Une vision plus rapprochée engendre un spectacle très différent de l’appréhension initiale. L’oscillation dans un premier temps juste perceptible devient alors nettement visible, le dessin se constitue d’une multitude de traits qui s’entrechoquent sur le papier et procurent à l’ensemble un rythme presque frénétique. La tension continue qui s’en dégage annihile alors totalement l’impression initiale de calme pour favoriser un dessin qui se dérobe à la vue. L’œuvre provoque deux expériences radicalement différentes selon la distance à laquelle on se place. Au-delà d’un déplacement du corps, elle nécessite surtout une durée qui favorise une « façon aussi d’expérimenter sa propre position du regard – saisir et être dessaisi »2.

La réception des pièces de l’artiste fluctue selon les acquis de chacun, qui oriente alors sa lecture. Sans Titre (Nuit) peut être ainsi interprété comme un ciel mouvementé, un hommage à la Nuit étoilée de Van Gogh ou encore comme une allusion aux trous noirs pour les adeptes de Stephen Hawking.  Il n’en demeure pas moins que cette connaissance préalable est «mis en pièces pour un moment qui commence avec l’instant même où l’image apparaît»3. Les oeuvres de Markéta Šenkyříková-Lacroix ne se capturent pas aussi aisément. Les sensations de saisissement et de dessaisissement sont fugaces mais clairement effectives. Ses images nous sont familières. Commence alors un rapprochement et un montage mental de sensations, de souvenirs afin d’appréhender ce qui nous a échappé précédemment et nous offrir de nouvelles ouvertures, résultat d’une «conjonction soudaine d’un présent […] et d’une mémoire enchevêtrée»4
Les sujets que traite Markéta Šenkyříková-Lacroix appartiennent à un vocabulaire commun ou à des «images clichées» précise-t-elle, que nous partageons tous. Une fontaine, dans une tentative presque encyclopédique, synthétise ainsi «toutes les fontaines de [sa] vie - des rencontres hasardeuses avec celles-ci dans les parcs et jardins, une ode à l’esthétique des formes rococo et du son pur de la porcelaine». Dans cette « épiphanie du banal», pour paraphraser Marie de Brugerolle, règne pourtant une certaine ambigüité5. L’étrange côtoie le coutumier quand, devant la représentation d’un jardin où baigne une luminosité blafarde digne d’un matin d’hiver, un colibri se fond dans ce décor au profit d’une grappe de fleurs d’une couleur presque charnelle, palpitante qui surgit de cet environnement aux tonalités blêmes. Difficile de ne pas assimiler ce végétal à un organe qui demeure l’unique manifestation de vie dans cette ambiance gelée et fantomatique. Le « léger frisson » perdure. La démarche de Markéta Šenkyříková-Lacroix est teintée de réalisme magique, domaine littéraire popularisé par Gabriel Garcia Marquez, qui sans tomber dans le fantastique introduit une hésitation qui fait glisser l’œuvre hors du réel et du tangible. Ses œuvres nous portent vers un ailleurs qui nous mènent bien au-delà de la simple représentation. Elles sont des seuils entre la réalité et un imaginaire collectif, entre apparition et disparition.

Karen Tanguy





1 Benjamin, Walter. Bel effroi, in Images de pensée, Paris : Christian Bourgeois Editeur, 1988. p 248.
2 Didi-Huberman, Georges. Phasmes, essais sur l’apparition, Paris : Les Editions de Minuit, 1988. p 10.
3 Lambert, Frédéric et François Niney. La condition des images par Georges Didi-Huberman (entretien),  in L’expérience des images,
Bry-sur Marne : INA Editions, 2011. p 83.
4 Ibid, p100.
5 de Brugerolle, Marie. Jessica Warboys, in Catalogue du 54è Salon de Montrouge, Paris : Editions Particule, 2009.